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Cette décision fait suite aux saisines effectuées en janvier 2017 par l’organisation professionnelle Union de la Bijouterie Horlogerie et la société Pellegrin & Fils.
Ces saisines interviennent dans le cadre d’un litige opposant Rolex France à ses distributeurs suite à la volonté de la tête de réseau de restructurer son réseau de distribution en France, ce qui implique de réduire le nombre de points de vente indépendants : le nombre de détaillants agréés a ainsi diminué de manière significative entre 2010 et 2021, passant de 114 à 66. En conséquence, Rolex France a résilié plusieurs contrats de distribution, dont celui conclu avec l’un des plaignants, Pellegrin & Fils, en 2013. Pellegrin & Fils a ensuite assigné Rolex France en 2015 pour entente anticoncurrentielle et rupture brutale de relations commerciales établies. Le tribunal de commerce de Paris ayant débouté Pellegrin & Fils de ses demandes, le distributeur évincé a fait appel. La cour d’appel de Paris a sursis à statuer dans l’attente de la décision de l’Autorité (CA Paris, 30 août 2019, n° 15/17059).
L’Autorité reproche à Rolex France d’avoir participé à une entente généralisée avec ses distributeurs visant à interdire la vente sur Internet et à fixer le prix de vente au détail des montres de la marque Rolex, en violation de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et de l’article L.420-1 du Code de commerce.
Pour rappel, l’interdiction absolue faite aux distributeurs agréés de vendre sur internet constitue une restriction de concurrence par objet, incompatible avec l’article 101§1 du TFUE, depuis l’arrêt Pierre Fabre rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 13 octobre 2011 (affaire C-439/09). L’Autorité a fait une première application de l’arrêt Pierre Fabre dans sa décision n° 12-D-23 du 12 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Bang & Olufsen. Cette interdiction est inscrite à l’article 4(e) du règlement européen 2022/720, en vigueur depuis le 1er juin 2022.
S’agissant de l’imposition des prix de vente, il ressort des termes de l’article 101§1 TFUE L. 420-1 du code de commerce et de la jurisprudence que cette pratique est anticoncurrentielle par nature.
Dans l’affaire Rolex France, l’accord vertical visant à interdire la vente en ligne des montres Rolex par ses distributeurs agréés était caractérisé, selon l’Autorité, par les éléments suivants :
L’Autorité a considéré que l’interdiction faite aux distributeurs agréés de vendre sur Internet avait été mise en place depuis une dizaine d’années, » à tout le moins depuis le 13 octobre 2011 jusqu’à l’envoi de la notification de griefs complémentaire le 23 mars 2022 « . Cependant, au vu des éléments listés ci-dessus, la pratique anticoncurrentielle alléguée semble avoir débuté au moins en 2006. Il semble que l’Autorité ait voulu faire coïncider la date de début de la pratique avec la date du prononcé de l’arrêt Fabre de la CJUE. Toutefois, l’Autorité aurait pu prolonger la durée des pratiques avant la date de l’arrêt Pierre Fabre de 2011. En effet, comme le rappelle l’Autorité, la cour d’appel de Paris a déjà jugé que si la loi et la jurisprudence applicables aux restrictions à la vente en ligne dans le cadre des réseaux de distribution sélective n’étaient pas clairement établies avant l’arrêt Pierre Fabre, il ne pouvait en être déduit qu’aucune infraction ne pouvait être reprochée aux sociétés sanctionnées par l’Autorité avant cet arrêt (cour d’appel de Paris, 13 mars 2014, n° 2013/00714 et 17 octobre 2019, n° 18/24456). L’incertitude en la matière ne devrait conduire qu’à relativiser la gravité de la pratique pour la période antérieure à l’arrêt Pierre Fabre.
Dans cette affaire, Rolex France a fait valoir que l’interdiction de la vente en ligne de ses produits avait plusieurs objectifs. Tout d’abord, l’absence de vente en ligne était nécessaire pour préserver son modèle économique à forte valeur ajoutée, basé sur l’image de marque et l’expérience client. En outre, seuls les achats effectués dans la boutique d’un de ses distributeurs agréés lui permettraient de lutter efficacement contre la contrefaçon et les réseaux parallèles. Enfin, selon Rolex France, l’interdiction de la vente en ligne permettait d’éviter les problèmes d’image et de sécurité lors de la livraison à distance.
Ces justifications n’ont pas convaincu l’AMF. Elle a considéré que les objectifs cités pouvaient être atteints par des moyens moins restrictifs de concurrence.
En effet, l’Autorité relève que tous les concurrents de Rolex France autorisent la vente en ligne, tout en assortissant cette autorisation de conditions et de garanties visant à préserver l’image de luxe des produits, dont le niveau apparaît similaire à celui exigé par Rolex France auprès de ses distributeurs. S’agissant de la lutte contre la contrefaçon et les réseaux parallèles, l’Autorité considère que des outils adaptés existent pour assurer la traçabilité des produits vendus en ligne, tels que la blockchain, utilisée par plusieurs concurrents de Rolex France. Enfin, s’agissant des problèmes liés à la sécurité des envois, l’Autorité considère que Rolex France pourrait faire appel à des transporteurs garantissant la sécurité des envois ou proposer le retrait en magasin des produits achetés en ligne, à l’instar de ses concurrents.
S’agissant du second grief reproché à Rolex France d’avoir fixé le prix de vente au détail des montres de la marque Rolex, l’Autorité a estimé » que les éléments du dossier ne démontraient pas que Rolex France SAS aurait invité ses distributeurs à restreindre leur liberté tarifaire, ni que les distributeurs auraient, le cas échéant, acquiescé à cette invitation « .
Cette décision, parfaitement conforme à la jurisprudence en la matière, intervient quelques jours après la décision 23-D-12 du 11 décembre 2023 par laquelle l’AMF a sanctionné la société Mariage Frères, producteur de thés haut de gamme, à hauteur de 4 millions d’euros pour avoir interdit la vente en ligne de ses produits.
Compte tenu de l’importance du montant de l’amende infligée à Rolex France par l’AMF, cette dernière est susceptible de faire appel de la décision, ce qui ne la dispensera pas du paiement de l’amende, l’appel n’étant pas suspensif (article L. 464-8 du code de commerce).