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Par une décision en date du 12 novembre 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, à nouveau, précisé les contours du régime de la transmission de la responsabilité pénale entre personnes morales, à l’occasion d’une opération de fusion.
Cette fois-ci, la Cour de cassation s’intéresse à l’impact du caractère public des personnes morales concernées quant aux conditions de l’éventuel transfert de responsabilité pénale susceptible d’intervenir à raison de leur regroupement.
1.
En 1996, plusieurs plaintes sont déposées à la suite de l’exposition de personnes à l’amiante au sein de bâtiments universitaires édifiés entre 1964 et 1972.
Une information judiciaire est alors ouverte des chefs d’homicides et blessures involontaires, omission de porter secours et mise en danger d’autrui.
Le 12 janvier 2005, deux universités, établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, sont mises en examen du chef de mise en danger d’autrui.
Mais le 24 février 2022, les juges d’instruction en charge de cette affaire ont rendu une ordonnance de non-lieu.
Les parties civiles ont interjeté appel de cette ordonnance, en vain, la chambre de l’Instruction de la Cour d’appel ayant considéré que les opérations de fusions entre les établissements universitaires ont entrainé la disparition de leur personnalité juridique à compter, respectivement, des 1er janvier 2018 et 1er janvier 2020.
La Cour d’appel saisie précise également que l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, relative au transfert de la responsabilité pénale d’une personne morale de droit privé en cas de fusion-absorption, ne trouve à s’appliquer qu’à compter du 25 novembre 2020 et qu’en tout état de cause cette jurisprudence n’est pas applicable aux personnes morales de droit privé.
Elle constate ainsi l’extinction de l’action publique, confirmant les ordonnance de non-lieu contestées.
2.
La Cour de cassation adopte une approche pédagogique en rappelant d’abord l’historique de sa jurisprudence relative au transfert de responsabilité pénale dans l’hypothèse d’opérations de fusions acquisitions entre sociétés.
C’est l’occasion ici de rappeler que si la Cour de cassation a refusé, pendant longtemps et sur le fondement de l’article 121-1 du code pénal selon lequel nul n’est responsable que de son propre fait, de constater l’existence d’un transfert de responsabilité pénale en matière d’opérations de fusions-absorptions, elle est revenue sur cette position à compter d’une décision du 25 novembre 2020 (n°18-86.955).
Ce changement de paradigme, à compter de la décision de 2020, était notamment dicté par la jurisprudence européenne et communautaire (CJUE, 5 mars 2015 C-343/13 ; CEDH, 1er octobre 2019, n°37858/14) lentement digérée par la chambre criminelle[1] laquelle a toutefois fini par admettre la possibilité d’un transfert de responsabilité pénale entre la société absorbée et la société absorbante en justifiant l’abandon de la jurisprudence préexistante de la manière suivante que :
La Cour de cassation a également considéré en 2020 que le revirement ainsi opéré n’était pas imprévisible et trouvait à s’appliquer aux opérations de fusions-acquisitions conclues avant la décision du 25 novembre 2020.
Reste que l’analyse de la décision de 2020 a pu faire naître quelques doutes légitimes quant à la portée de ce revirement de jurisprudence.
Très concrètement, la notice explicative publiée par la Cour de Cassation semblait accorder une portée limitée à la décision du 25 novembre 2020 et seulement restreinte aux sociétés de capitaux (SA/SAS) :
La Cour de cassation précise les conditions et les limites du transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante.
3.1 Une portée limitée aux fusions relevant de la directive relative à la fusion des sociétés anonymes
En premier lieu, ce transfert, issu de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, ne s’applique que dans le champ d’application de celle-ci, à savoir, pour la France, en cas de fusion de sociétés anonymes (§. 35 et 37).
A ce titre, il convient cependant de préciser que la directive relative aux fusions des sociétés anonymes est également applicable aux sociétés par actions simplifiées (SAS). En effet, les SAS ne sont qu’une catégorie particulière de société par actions et sont soumises, dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières les concernant, aux règles concernant les sociétés anonymes ».
Pour autant, et malgré cette notice explicative, il est apparu que le transfert de responsabilité pénale pouvait également trouver à se concrétiser en matière de fusions-absorptions réalisées entre SARL ; c’est le sens de la décision intervenue le 22 mai 2024 (n°23-83180) :
14. Cependant, l’arrêt attaqué n’encourt pas la censure, dès lors qu’ayant constaté qu’il a été procédé, le 30 septembre 2022, à une opération de fusion-absorption entraînant la dissolution de la société mise en cause et que les faits objet des poursuites sont caractérisés, il pouvait déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation ».
Plus encore, dans cette dernière décision la Cour de cassation considérait, malgré les termes de sa notice explicative publiée au sujet du revirement de jurisprudence intervenu le 25 novembre 2020, que :
C’est ainsi que les auteurs du pourvoi dirigé contre l’arrêt de la chambre de l’instruction, constatant l’extinction de l’action publique à raison de la fusion opérée entre deux établissement publics universitaires, étaient amenés à considérer que :
Ce n’est pas entièrement le sens de la décision rendue.
3.
Ici, la Cour de cassation ne dément pas l’application de son évolution jurisprudentielle aux personnes morales de droit public :
« 15. En jugeant ainsi, la Cour de cassation a entendu rompre avec une approche anthropomorphique des opérations juridiques affectant la continuité des personnes morales » ;
« 16. L’article 121-2 du code pénal relatif à la responsabilité pénale des personnes morales ne fait aucune distinction entre celles-ci selon qu’elles sont de droit privé ou de droit public, sauf à réserver la situation particulière de l’Etat et celle des collectivités territoriales lorsque ces dernières n’agissent pas dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public.
17. Il s’en déduit que les principes dégagés par les arrêts précités des 25 novembre 2020 et 22 mai 2024 sont applicables aux établissements publics ».
Ce faisant, le raisonnement adopté par la Chambre de l’Instruction est censuré, la Cour de cassation considérant (n°26) ainsi « qu’il résulte respectivement de l’article 2 du décret n° 2017-596 du 21 avril 2017 et des articles 3 et 6 du décret n° 2019-209 du 20 mars 2019 que les opérations de fusion concernées ont chacune emporté transmission de l’ensemble des activités, biens, droits et obligations des établissements publics fusionnés à l’établissement public issu de la fusion, de sorte qu’il existe entre eux une continuité économique et fonctionnelle telle qu’ils ne sauraient être considérés comme distincts au sens de l’article 121-1 du code pénal ».
Il apparaissait complexe d’apprécier autrement la situation soumise à l’examen de la Cour de cassation.
Si le raisonnement ne semble pas souffrir d’une quelconque contestation, la difficulté posée par cette décision porte en réalité sur les conditions temporelles d’application de ce qui s’apparente à la confirmation d’une évolution jurisprudentielle déjà assise.
En effet, au rebours de ce qu’elle avait jugé en 2020 puis en 2024 alors qu’elle décidait de l’application rétroactive de son évolution jurisprudentielle pour les SA et les SAS d’une part, puis pour les SARL d’autre part, elle considère au cas d’espèce que l’application du principe du transfert de la responsabilité pénale en matière d’opérations de fusions concernant les personnes morales de droit public n’était pas prévisible et donc ne trouve pas à s’appliquer aux opérations de fusion antérieures au 25 novembre 2020.
Ce point laisse perplexe à double titre :
Dans ce cas, il nous semble qu’un raisonnement rigoureux aurait dû conduire la Cour de cassation à constater, non pas que les termes de sa décision du 12 novembre 2025 étaient inapplicables aux opérations de fusions intervenues avant le 25 novembre 2020, mais bien inapplicables aux opérations de fusions intervenues antérieurement 12 novembre 2020.
La décision ainsi prise a le mérite de clarifier, probablement définitivement, l’évolution entamée le 25 novembre 2020 ; elle apparait toutefois imparfaite en ce qu’elle semble faire naître deux catégories de victimes, celles dont la reconnaissance pèse sur la responsabilité de personnes morales de droit privé et les autres manifestement confrontées à la réalité actuelle de la bonne gestion des deniers publics. Enfin, pour les personnes morales de droit public, il conviendra désormais de tenir compte de ce risque pénal lorsque des opérations de regroupement seront envisagées.
[1] Le refus de se conformer à la jurisprudence de la CJCE avait été confirmé par un arrêt de la chambre criminelle du 25 octobre 2016 n°16-80.366 dans le cadre duquel était notamment rappelé le fait que « l’article 121-1 du code pénal ne peut s’interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence juridique » ;
[2] Exclusion faite, d’une part de l’État, d’autre part du caractère délégable des activités dans le cadre desquels les infractions, reprochées aux collectivités territoriales, sont commises ; mais ces deux exceptions ne rentrent pas en ligne de compte dans les faits soumis à la Cour de cassation ;
[3] Du moins en l’état de nos connaissances, à ce stade du feuilleton jurisprudentielle ouvert par la Cour de cassation depuis le 25 novembre 2020 ;