Quelle responsabilité pour les banques s’agissant des virements dans une devise autre que l’euro ?

Publié le 15 avril 2024

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Contentieux - Arbitrage - Médiation

Cour de cassation, Chambre commerciale économique et financière, 14 février 2024 – n° 22-11.654

La question de la responsabilité des banques s’agissant des prestations de service de paiement implique pour elles de respecter différents impératifs parfois contradictoires : d’une part, l’obligation de vigilance à l’égard des opérations ordonnées par le client et d’autre part un devoir de non-immixtion dans les opérations réalisées par ce dernier.

Dans un arrêt rendu le 14 février 2024, la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a abordé le sujet de l’encadrement de la responsabilité d’un établissement bancaire s’agissant de son obligation de vigilance et de surveillance, à l’occasion d’un ordre de virement de son client dans une devise autre que l’euro.

En juillet 2016, une société avait donné d'instruction à sa banque de procéder à trois virements en dollars américains afin de payer des factures émises par un fournisseur. Cette société a constaté qu’un tiers avait usurpé son identité et avait frauduleusement accédé à son système de messagerie électronique et que des virements avaient été réalisés à destination de comptes n’appartenant pas au dit-fournisseur.

Une partie des fonds transférés a été restituée par l’établissement bancaire de l'un des destinataires, s’étant rendu compte des agissements frauduleux du tiers malfaiteur.

La société victime a assigné sa banque pour obtenir restitution des fonds détournés, en invoquant le manquement de la banque à son obligation de vigilance et de surveillance.

Par arrêt du 10 novembre 2021, la Cour d’appel de Saint-Denis a débouté la société de sa demande tendant à la condamnation de la banque au motif que les opérations financières faites à destination du nouveau fournisseur ne présentaient pas un « caractère inhabituel », et que le montant de ces demandes ne démontrait pas un « caractère exceptionnel ».

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation nous éclaire sur le régime applicable lorsqu’est en cause un virement réalisé dans une devise monétaire autre que l’euro.

La Cour écarte l’application du régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu par le Code monétaire et financier, en application de l’article L. 133-1 dans sa rédaction issue de lordonnance n°2014-158 du 20 février 2014. Cet article prévoyait en effet que le Code monétaire et financier avait vocation à s’appliquer uniquement lorsque l’établissement bancaire et le payeur sont situés en France et ses départements et régions d’outre-mer, l’Union Européenne et l’Espace économique européen, et que ce virement est réalisé en euro ou dans la devise d’un état membre de l’Union Européenne ou d’un état partie à l’Espace économique européen.

La Cour fait donc application du régime de la responsabilité contractuelle de droit commun et des principes classiques en matière de responsabilité d’un établissement bancaire.

Sur le fondement de ce régime, la Cour de cassation énonce les différentes obligations du banquier vis-à-vis de son client lors de la réception d’un ordre de virement d’un de ses clients.

Le banquier doit s’assurer que :

- Le virement émane bien du titulaire du compte à débiter ou de son représentant,

- Le virement ne présente aucune anomalie apparente, formelle ou intellectuelle, et que l’opération n’est pas manifestement irrégulière ou inhabituelle dans la pratique commerciale de son client.

Pour déterminer si ces différentes conditions sont remplies, les juges ont recours à la technique du faisceau d’indices.

En l’espèce :

- Afin de vérifier si le virement émanait du titulaire du compte, les juridictions ont observé que les ordres de virement litigieux émanaient de la société, étaient signés et accompagnés des éléments d'identification des comptes bancaires sur lesquels les fonds devaient être virés.

- Afin de vérifier si le virement présentait une anomalie apparente, formelle ou intellectuelle, et que l’opération ne présentait pas un caractère inhabituel ou irrégulier dans les pratiques commerciales de son client, les juridictions ont observé que les instructions  données s'inscrivaient dans la logique des relations d'affaires entretenues avec des fournisseurs basés en Asie, que les montants des virements « n’étaient en rien exceptionnels », que la société à l’initiative du virement était en possession des factures à régler et qu'elle n'ignorait pas la dénomination sociale de ses fournisseurs.

Par conséquent, la Cour ne fait pas droit aux arguments du défendeur pour justifier un défaut dans le devoir de la banque à son devoir de vigilance, parmi lesquels :

  • La connaissance de la banque des pratiques de la société défenderesse (paiement par acompte, puis solde du prix d’achat),
  • Le changement de coordonnées bancaires des trois fournisseurs, quand bien même ces comptes seraient mentionnés comme « offshore »,

Cet arrêt permet une transposition de la solution en droit nouveau en se fondant non plus sur l’article 1147 ancien du Code civil, mais sur le nouvel article 1231-1 du Code civil.

Cet arrêt confirme une jurisprudence établie concernant les obligations de vigilance des établissements bancaires, invitant les juridictions du fond à opérer une recherche approfondie pour caractériser l’anomalie apparente d’un ordre de virement.

Dès lors, l’arrêt ici commenté n’opère pas de modification substantielle s’agissant de la responsabilité des établissements bancaires concernant les ordres de virements, obligeant ces établissements à mettre en œuvre un juste équilibre entre devoir de vigilance et devoir de non-ingérence.

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