Le salarié peut-il partir en congés sans prévenir son employeur ?

Publié le 27 février 2024

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Droit social et de l'activité professionnelle

Après avoir rendu des arrêts concernant l’acquisition de congés payés en cours d’arrêt maladie (Cass. Soc. n°22-17.340 ; 22-17.341 et 22-17.342) qui continuent d’alimenter des débats, la Cour de Cassation s’est prononcée sur le sujet des congés payés posant la question suivante : un salarié peut-il partir en congés payés sans prévenir son employeur lorsque ce dernier commet des manquements dans ses obligations en la matière ?

Décryptage de l’arrêt de la chambre sociale du 13 décembre 2023 (n°22-17.890) :

Rappel des obligations de l’employeur en matière de congés payés :

Le Code du travail impose à l’employeur de notamment : 

  • Porter à la connaissance des salariés la période de prise des congés payés au moins deux mois avant l’ouverture de cette période. (C. Trav., art. D3141-5) 
  • Communiquer l’ordre des départs en congé, par tout moyen, à chaque salarié un mois avant son départ. (C. Trav., art. D3141-6)

Ces dispositions sont d’ordre public. 
Plus généralement, l'octroi au salarié des congés qu'il a acquis constitue une obligation pour l'employeur. 

La position de la jurisprudence, inspirée du droit européen (Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003), est claire : il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement. (Cass. Soc., 6 juil. 2022, n°21-12.223)

La charge de la preuve appartient à l’employeur qui doit démontrer avoir pris lesdites mesures permettant au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé (Cass. Soc., 9 mai 2019, n°17-27.448). 

Dès lors, se pose la question de la sanction encourue par l’employeur en cas de non-respect de cette obligation et, par voie de conséquence, des possibilités ouvertes au salarié en cas de manquement de son employeur.

Les faits de l’espèce :

Un salarié, embauché en mai 2016, est licencié pour faute grave le 11 septembre 2017 pour absence à son poste au cours du mois d’août 2017. 

Devant les juges du fond (CA Colmar, Chambre 4 a, 30 septembre 2021, n° 20/00158), le salarié contestait son licenciement en faisant valoir : 

  • « Qu’il avait obtenu l’accord verbal de son employeur pour un départ en congés du 31 juillet au 1er septembre 2017 ;
  • Que l’employeur ne démontre pas avoir respecté la législation afférente aux dates de congés, notamment les articles D.3141-5 et D.3141-6 du code du travail relatifs au délai d’information des salariés de la période de prise de congés et au délai de communication de l’ordre de départ en congé à chaque salarié ;
  • Que n’ayant bénéficié d’aucun jour de congé depuis son embauche, il était fondé à partir en congé en 2017 ;
  • Qu’il était parti à l’étranger et qu’il ne pouvait prendre connaissance des mises en demeure adressées par l’employeur » 

Le premier argument était rapidement écarté par les juges du fond dans la mesure où le salarié n’apportait pas la preuve d’un accord verbal de son employeur. 

Le dernier argument était également balayé dans la mesure où c’est au salarié de prendre les mesures nécessaires pour avoir connaissance du courrier parvenu à son domicile en son absence. 

Dès lors, la question qui demeurait était la suivante : si l’employeur ne respecte pas ses obligations en matière de congés payés, le salarié peut-il décider de partir en congés sans prévenir son employeur ? 

Cette question diffère de celle qui se pose lorsque le salarié part en congé sans autorisation de l'employeur car ce dernier ne lui répond pas. Si l’employeur n’a pas mis en place de procédure précise et ne répond pas expressément à la demande du salarié, le départ en congé dudit salarié n’est pas fautif car le salarié avait pu considérer que sa demande était acceptée. (Cass. soc. 6 avril 2022 n° 20-22.055)

Position de la Cour de cassation :

Dans le cas d’espèce, ni la Cour d’Appel, ni la Cour de cassation ne se prononcent explicitement sur les manquements de l’employeur à ses obligations en matière de congés payés. 

La Cour suprême se contente d’indiquer : 
« qu’à supposer que l'employeur n'ait pas respecté la législation afférente aux dates de congés, le salarié ne pouvait prendre de congés sans les poser au préalable ».

A première vue, la solution est limpide : le salarié est fautif en se plaçant en absence injustifiée, peu importe que l’employeur ait ou non commis de manquement à ses obligations en matière de congés payésUne faute qui justifie par ailleurs un licenciement. 

Si l’abandon de poste et/ou les absences injustifiées en l’absence de réponse à des mises en demeure sont généralement reconnus comme des fautes graves rendant impossibles le maintien du salarié dans l’entreprise, il en va différemment en l’occurrence. 

Dans l’affaire qui nous intéresse, les juges apportent ainsi une précision intéressante. 

Bien que le salarié n’ait pas prévenu son employeur, sa faute ne rendait pas impossible la poursuite de son contrat de travail pour deux raisons selon la Cour de cassation, qui reprend l’argumentaire des juges d’appel : 

  • Le salarié aurait pu être autorisé à prendre ses congés pendant le mois d’août s’il avait formulé sa demande auprès de l’employeur
  • Il n’est pas contesté qu’il n’avait pas épuisé tous ses jours de congés. 

Cette justification peut paraître surprenante. 

En effet, les juges ne s’attardent pas sur les prétendus manquements de l’employeur, mais sur le fait que le salarié « aurait pu être autorisé à prendre ses congés pendant le mois d’août s’il avait formulé sa demande auprès de l’employeur ». 

Les juges utilisent le temps du conditionnel pour se mettre, en quelque sorte, à la place de l’employeur. 

Dans d’autres affaires où le salarié avait décidé de fixer unilatéralement ses congés, les licenciements avaient déjà pu être reconnus tantôt justifiés par une faute grave (Cass. Soc., 19 juin 1997, n°94-44.997) ; tantôt par une cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 16 mai 2007, n°05-44.703). 

Pour la qualification de la faute, les juges prenaient alors en compte, plus classiquement, les différents éléments de contexte (contexte de tension, usages de prises de congés dans l’entreprise), vérifiaient si le salarié avait ou non sollicité son employeur pour partir en congés, si ce dernier avait explicitement refusé...

Dans l’arrêt nous intéressant, la solution aurait-elle été différente si, pour des faits similaires, l’absence du salarié avait causé un préjudice particulier à la société ? Si l’employeur avait pu apporter une raison objective pour laquelle le salarié ne pouvait pas prendre ses congés à cette période ? Si l’absence était d’une durée différente ? Ou sur une autre période que celle du mois d’août ? 

De plus, l’argument selon lequel le salarié « aurait pu être autorisé à prendre ses congés » pourrait-il également s’appliquer aux situations « classiques » d’abandon de poste ou d’absences injustifiées (par classique, nous entendons sans débat sur le droit à congés payés et les manquements de l’employeur) ? 

En effet, bien que la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 ait institué le mécanisme de la présomption de démission en cas d’abandon volontaire de poste (C. Trav., art. L1237-1-1), nombre d’employeurs privilégient toujours le mécanisme du licenciement pour faute grave dans de telles situations.

La justification permettant de requalifier la faute grave en cause réelle et sérieuse laisse ainsi place à plusieurs interrogations et nous paraît quelque peu hypothétique, comme en atteste l’utilisation du conditionnel par la Cour de cassation. 

Néanmoins ces différents questionnements ne doivent pas éclipser l’enseignement principal de l’arrêt du 13 décembre 2023.

Enseignements de l’arrêt :

Quoi qu’il en soit, la position de la Cour de cassation est explicite sur un point : le salarié ne peut pas prendre ses congés de lui-même sans en informer son employeur au préalable, peu importe la défaillance ou non de l’employeur dans ses obligations en la matière.  

En faisant cela, le salarié commet une faute, qui n’est pas nécessairement grave pour autant.

En définitive, si l’employeur se doit d’être particulièrement vigilant en matière de congés payés et mettre en place une politique claire notamment sur la période de prise de congés et l’ordre des départs ; le salarié doit quant à lui respecter cette procédure et ne pas s’octroyer la liberté de partir en congés quand il veut sans en informer son employeur. 

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