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Marchés publics : la Cour administrative d'appel de Versailles a récemment précisé les conditions d'appel en garantie d'un constructeur ayant causé des dommages aux tiers durant la réalisation de travaux, même après réception. Décryptage juridique par Céline Rojano et Christophe Pichon.
Solution : « En imposant la prise d'une assurance tous dommages aux tiers y compris après réception, la clause … du CCAP doit être regardée comme impliquant que l'entrepreneur puisse être appelé en garantie par la commune à raison de dommages causés aux tiers après la réception des travaux »
Impact : La CAA de Versailles confirme que le CCAP peut ainsi déroger à la règle selon laquelle la réception sans réserve empêche l’appel en garantie du constructeur pour les dommages subis par les tiers, sans qu’une clause n’ait pour objet exprès l’extension de la responsabilité contractuelle dans le temps.
CAA Versailles, 15 juin 2020 n° 17VE02855
Même en l'absence de faute, le maître de l'ouvrage est responsable vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public (CE 3 octobre 1980 n°10478). Il est de jurisprudence constante que le maitre d’ouvrage public ne peut, sauf clause contraire, appeler en garantie le constructeur qui est à l’origine du dommage subi par les tiers lorsque la réception est intervenue sans réserve (CE 9 janvier 1953, Lebon 10 ; 4 Juillet 1980 n° 03433 ; 15 juillet 2004 n°23503). Beaucoup d’encre a déjà coulé sur l’iniquité de cette solution, rendue sur conclusions contraires des rapporteurs publics, qui proposaient d’admettre l’appel en garantie sur le fondement d’une responsabilité quasi délictuelle (conclusions Guionin sous CE 9 janvier 1953 et conclusions de Silva sous CE 15 juillet 2004 ; voir notamment pour les articles les plus récents : Tony Janvier, Responsabilité – Travaux publics, dommages aux tiers et action en garantie du maître d'ouvrage, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 7, 22 Février 2016, 2046 ; Bertrand Dekeister, Réflexions sur les clauses de responsabilité dans les marchés publics de travaux, RDI 2016 p.73 ; Hélène Hoepffner, Le régime des appels en garantie après la réception : faut-il cesser d'espérer un revirement de jurisprudence ?, AJDA 2019 p.941 ; Hervé de Gaudemar, Appel en garantie du maître d'ouvrage public par le constructeur, AJDA 2019. 313).
La position du Conseil d’Etat prive en effet automatiquement le maître d’ouvrage, du seul fait de la réception, de la possibilité de se retourner contre l’entrepreneur pour les dommages causés aux tiers, alors même que l’entrepreneur poursuivi par un tiers dispose de la possibilité d’appeler le maître d’ouvrage en garantie, même après la réception (CE 6 février 2019 n° 414064). Le maitre d’ouvrage public est en outre dans une situation plus défavorable que celle du maître d’ouvrage privé, la Cour de Cassation admettant que la fin des rapports contractuels laisse subsister une responsabilité quasi délictuelle du contractant à l’égard des tiers. S’il est, pour les seuls besoins du raisonnement juridique à notre sens, régulièrement rappelé que la responsabilité de l'entrepreneur envers le maître d'ouvrage pourrait être recherchée sur le fondement de la garantie décennale, encore faut-il que le dommage subi par le tiers riverain trouve directement son origine dans des désordres affectant l'ouvrage objet du marché. Or en l’espèce, il ne pouvait être sérieusement prétendu que la pose d’un isolant acoustique sur un immeuble destiné à accueillir un théâtre rende ledit ouvrage impropre à sa destination…
Aux termes de son arrêt du 15 juin 2020, la Cour administrative d’appel de Versailles rappelle d’abord le principe aux termes duquel « la fin des rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d'un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l'entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier, alors même que ces dommages n'étaient ni apparents ni connus à la date de la réception ». En l’espèce, la Cour considère cependant qu’en « imposant la prise d'une assurance tous dommages aux tiers y compris après réception, la clause précitée du CCAP doit être regardée comme impliquant que l'entrepreneur puisse être appelé en garantie par la commune à raison de dommages causés aux tiers après la réception des travaux ». La Cour reprend ici sa position déjà affirmée en 2015, aux termes de laquelle en imposant la prise d'une assurance tous dommages aux tiers y compris après réception, la clause du CCAP doit être regardée comme impliquant nécessairement la responsabilité contractuelle du constructeur au premier chef à l'égard du maître de l'ouvrage après la réception pour les faits dommageables causés à des tiers par ses travaux (CAA Versailles 30 avril 2015 n°14VE01528).
La clause litigieuse prévoyait en l’espèce que « chaque intervenant à l'opération est tenu de souscrire une police d'assurance de responsabilité civile générale et professionnelle couvrant toutes les conséquences pécuniaires de la responsabilité qu'il est susceptible d'encourir vis-à-vis des tiers et du maître d'ouvrage, à propos de tous dommages corporels, matériels et immatériels pouvant survenir tant pendant la période de construction qu'après l'achèvement des travaux…Par dérogation à l’article 4.3 du CCAG Travaux, les capitaux garantis devront être au minimum de (…) pour les dommages matériels et immatériels consécutifs (…) après réception : 1 000 000 euros par sinistre (…) ». Certains auteurs ont déjà eu l’occasion de faire valoir qu’une telle clause ne saurait être de nature à remettre en cause l'effet extinctif de la réception sur la responsabilité contractuelle du constructeur (Tony Janvier, op.cit. ; Bertrand Dekeister, op.cit.). Certaines Cours estiment dans le même sens qu’une telle clause ne saurait être interprétée comme permettant une extension de responsabilité contractuelle dans le temps (CAA Lyon 11 juin 2020 n°18LY02111 ; CAA Bordeaux 18 décembre 2020 n°18BX04537).
Nous entendons ces critiques. Force est toutefois de constater que la clause est rédigée de manière très large, puisqu’elle vise bien « toutes les conséquences pécuniaires de la responsabilité » que le constructeur est susceptible d'encourir vis-à-vis des tiers et « tous dommages … pouvant survenir tant pendant la période de construction qu'après l'achèvement des travaux » ; enfin, et peut-être surtout, elle impose un minimum de capitaux garantis après réception. Dans ces conditions, lorsqu’une commune insère une telle clause à son marché, peut-on sérieusement douter de sa volonté de se réserver la possibilité de se retourner contre le constructeur, même après réception ? Ne doit-elle pas être regardée comme entendant faire supporter au seul constructeur la charge pécuniaire des dommages subis par les tiers, même après réception ? Ce d’autant plus lorsque les pièces du marché rappellent par ailleurs au constructeur que, du fait de la « présence d’avoisinants en contact direct de la construction à réhabiliter… dont les constructions sont adossées au mur », « les méthodes de travail sur le mur conservé devront tenir compte de ces avoisinants pour éviter toute transmission de vibration ou création de désordres ».
Les maîtres d’ouvrages publics peuvent certes améliorer la rédaction de leur CCAP et se réserver expressément la possibilité d’appeler en garantie les constructeurs en cas de dommages aux tiers même après réception… mais dans l’attente, les juges de la Cour administrative d’appel de Versailles, qui ont réaffirmé leur position par arrêt du 8 octobre 2020 (n°16VE02428) leur permettent de préserver leurs deniers, et de ne pas assumer les conséquences financières d’une faute du constructeur, expressément établie par un expert judiciaire.