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CE, 3 avr. 2024, n° 472476, Sté Victor Hugo 21
On le sait, le recours à la VEFA par les personnes publiques est tout à fait régulier, à la triple condition :
Il n’y alors pas lieu de procéder à une procédure de publicité ni de mise en concurrence, et le contrat relève du droit commun des contrats.
Cette solution, adoptée initialement sous l’égide du Code des marchés publics, a été confirmée sous l’empire des nouvelles dispositions du Code de la commande publique[2].
Il a été également été jugé que la solution était identique pour le bail en l’état futur d’achèvement[3]. Le fait que l’ouvrage n’ait pas vocation à devenir sa propriété importe alors peu, dès lors qu’il a été conçu pour répondre à ses besoins propres[4]. Seul le troisième critère trouve donc à s’applique.
Il suffit alors, pour que le contrat soit requalifié de marché public, que l’acheteur ait exercé une « influence déterminante » sur la conception de l’ouvrage.
Le Juge européen a précisé cette notion et considère qu’il a « influence déterminante » si l’acheteur influe sur la structure architecturale du bâtiment, qu’il s’agisse de sa dimension ou de ses murs extérieurs ou porteurs.
Et ce peut être également le cas s’il influe également sur les aménagements intérieurs, à la condition toutefois que ses demandes à ce titre se distinguent « par leur spécificité ou leur ampleur »[5]. Sont visées les hypothèses excédant ce qu’un locataire de ce type d’immeuble exige habituellement.
Tout est donc une question d’espèce et du degré de spécifications que l’acheteur impose au vendeur.
Le juge français a eu peu d’occasions de se prononcer sur cette question. L’arrêt étudié présente donc, de fait, un intérêt certain.
En l’espèce, un centre hospitalier avait conclu avec un partenaire privé un bail en l’état futur d’achèvement avec un promoteur privé, portant sur deux bâtiments existants et un troisième à construire.
Au prix d’une volte-face remarquable, le centre hospitalier a finalement refusé de prendre possession des ouvrages réalisés et a suspendu le règlement des loyers, tout en saisissant le juge administratif d’une action en contestation de validité du contrat, considérant qu’il s’agissait en réalité d’un marché public de travaux, qui plus est irrégulier.
Saisi de cette question, le Conseil d’Etat rappelle d’abord d’une manière on ne peut plus clair que :
« Le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l’objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux au sens des dispositions précitées des articles 4 et 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 lorsqu’il résulte des stipulations du contrat qu’il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages.
Tel est le cas lorsqu’il est établi que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur. »
Il s’agit ni plus ni moins de la solution dégagée par la CJUE, notamment dans son arrêt Commission c/ République d’Autriche[6].
Et c’est là le premier apport de l’arrêt, qui transpose, pour la première fois en des termes aussi clairs, la jurisprudence européenne en la matière.
Suivant en cela la CAA de Lyon, il retient l’influence déterminante du centre hospitalier sur la conception des ouvrages qui a influé directement sur l’aménagement du bâtiment A et la construction, l’implantation et l’aménagement du bâtiment C.
Il s’agit donc d’un marché public de travaux.
Encore fallait-il déterminer si son contenu était illicite ou s’il était entaché d’un vice d’une particulière gravité, puisque ce sont les conditions, interprétées très strictement par le Conseil d’Etat, pour que son annulation puisse être prononcée[7].
Le Conseil d’Etat, suivant toujours la Cour, prolonge donc son raisonnement et requalifie les clauses de loyer et surloyer en clauses de paiement différé, dont on sait qu’elles sont strictement prohibées par le droit des marchés publics[8].
C’est cette illicéité du contenu du marché et son indivisibilité de l’ensemble contractuel qui justifie selon lui l’annulation du marché.
Et c’est le second intérêt de l’arrêt qui érige pour la première fois la présence d’une clause de paiement différé indivisible du reste du contrat en illicéité du contenu du contrat, justifiant l’annulation du marché.
Le recours à une clause de paiement différé, si tant est qu’elle soit indivisible du contrat, rejoint donc la liste très peu fournie des illicéités du contenu du contrat justifiant son annulation, dont le Conseil d’Etat livre une définition pour le moins restreinte :
« Le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement »[9]
Cet article n’engage que son auteur.
[1] CE 25 février 1994, n° 144641, Avis CE 31 janvier 1995, n° 356960
[2] CAA Nancy, 3e ch., 15 avr. 2021, n° 19NC02073
[3] CJUE 10 juillet 2014, n° C-213/13, Impresa Pizzarotti & C.SpA c. Comune di Bari et autres
[4] Ibid.
[5] Ibid. CJUE 22 avril 2021, aff. C-537/19 Comm. UE c/ République d’Autriche
[6] CJUE 22 avril 2021, aff. C-537/19 Comm. UE c/ République d’Autriche
[7] CE 28 décembre 2009, n° 304802, Bézier 1
[8] Actuellement article L.2191-5 du Code de la commande publique
[9] CE 9 novembre 2018, Sté CERBA, 420654