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Cass. com., 31 janvier 2024, pourvoi n°R 22-16.616 – Autorité de la concurrence – refus des engagements – recours en légalité
La procédure d’engagement est une procédure alternative à la procédure ordinaire de sanction de l’Autorité de la concurrence.
Cette procédure a pour but d’obtenir que l’entreprise cesse ou modifie, pour l’avenir, des comportements potentiellement anticoncurrentiels, à la différence d’une décision de condamnation qui constate le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause, impose la cessation ou la modification du comportement et le sanctionne le cas échéant[1].La procédure d’engagement est généralement utilisée lorsque la saisine de l’ADLC porte sur des pratiques d’abus de position dominante ou d’ententes verticales[2].
Les types d’engagements proposés peuvent être de nature structurelle ou comportementale. Les engagements sont structurels lorsqu’ils imposent par exemple l’accès à des infrastructures ou des ressources afin de faciliter l’entrée des concurrents sur le marché. Ils sont qualifiés de comportementaux quand ils se rapportent au comportement commercial ou à la stratégie d’une entreprise[3].
Cette procédure d’engagement a été introduite en France à l’article L. 464-2 du Code de commerce par l’ordonnance n°2004-1173 du 4 novembre 2004 à la suite de l’adoption du règlement européen (CE) n°1/2003 du 16 décembre 2002.
En vertu de cet article, l’ADLC « peut accepter des engagements, d’une durée déterminée ou indéterminée, proposés par les entreprises ou associations d’entreprises et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l’article L. 410-3 ».
L’article L. 464-8 du Code de commerce dispose par ailleurs que « les décisions de l’Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l’économie, qui peuvent, dans le délai d’un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la Cour d’appel de Paris ».
Ces articles consacrent expressément le droit d’interjeter appel des décisions d’acceptation de propositions d’engagements de l’ADLC mais demeurent silencieux en cas de décision de refus de tels engagements : une telle décision est-elle également susceptible de recours ? Telle était la question soumise à la Cour de cassation dans l’affaire qui nous intéresse.
En l’espèce, un fabricant français de manettes de jeux vidéo compatibles avec la console PlayStation 4, produite par Sony, avait saisi en octobre 2016 l’ADLC de pratiques potentiellement anticoncurrentielles commises par cette dernière. Il était reproché à Sony d’avoir abusé de sa position dominante en empêchant les fabricants tiers de manettes compatibles avec la console de jeux PlayStation 4 de faire pleinement concurrence aux manettes de Sony.
En réponse à ces préoccupations de concurrence, Sony a formulé, en novembre 2019, une première série d’engagements que l’Autorité a soumis à consultation publique pour recueillir l’avis des tiers intéressés. Sony a par la suite transmis de nouvelles propositions d’engagements en juin, juillet et septembre 2020. Considérant que la dernière proposition d’engagements ne permettait toujours pas de répondre de façon pertinente aux préoccupations de concurrence, l’ADLC a mis fin à la procédure d’engagement et renvoyé le dossier à l’instruction[4].
Partant, Sony a formé deux recours en annulation distincts, l’un devant la Cour d’appel de Paris, l’autre devant le Conseil d’État. Ce dernier s’est déclaré incompétent par une décision du 1er juillet 2022[5].
La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 21 avril 2022[6], a rejeté le recours du fabricant japonais, considérant que seules les décisions d’acceptation des engagements proposés par les entreprises seraient susceptibles de recours, à l’exclusion de celles portant refus de tels engagements.
Selon la Cour d’appel, le libellé de l’article L. 464-8 du Code de commerce limiterait en effet le recours en annulation ou en réformation aux seules décisions de l’ADLC qui y sont limitativement énumérées. Or, l’article L. 464-2 du Code de commerce, auquel renvoie l’article susvisé, dispose uniquement que l’ADLC peut « accepter des engagements » sans envisager expressément la possibilité pour l’ADLC de les refuser.
Partant, Sony a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
Entre-temps, l’ADLC a condamné Sony le 20 décembre 2023 à hauteur de 13,5 millions d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la fourniture de manette de jeux vidéo pour Playstation 4 pendant plus de quatre ans[7].
Dans un arrêt du 31 janvier 2024[8], la Cour de cassation, après avoir rappelé que les entreprises ne bénéficient pas d’un droit aux engagements[9], a dit pour droit que les articles du code de commerce précités ne s’opposent pas à la possibilité d’effectuer un recours immédiat en légalité contre une décision de refus d’une proposition d’engagements.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris a ainsi été cassé et annulé par les juges du quai de l’Horloge qui ont renvoyé les parties devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.
L’objet de ce recours en annulation demeure toutefois limité. En effet, la Cour d’appel de Paris pourra seulement contrôler que les entreprises en cause ont bien été en mesure de présenter une proposition d’engagements de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence préalablement identifiées par l’Autorité, dans les délais et conditions prévus par les dispositions légales et réglementaires applicables. Le but de ce recours n’est en effet pas de remettre en cause l’analyse de l’Autorité quant à la pertinence des engagements proposés.
En cas d’annulation de la décision de refus de l’ADLC, l’examen de l’affaire sera renvoyé à l’ADLC pour remédier à ce vice.
La Cour d’appel de Paris est récemment venue assouplir sa position en matière de refus de demande de levée d’engagements par l’ADLC en retenant une approche similaire à celle de la Cour de cassation dans l’affaire Sony.
En effet, la chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt récent du 30 novembre 2023[10], postérieurement à l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Sony, a jugé recevable le recours de l’entreprise TDF contre une décision de l’ADLC qui avait refusé sa demande de levée des engagements que TDF avait souscrits en 2015, en réponse aux problèmes de concurrence soulevés par l’ADLC dans le secteur de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile[11].
A l’instar de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Sony, l’ADLC considérait qu’elle disposait « d’un large pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de faire droit ou non à une telle demande » et que « l’article L. 464-8 du code du commerce ne prévoit aucun recours à l’encontre de la décision de rejet de la demande de révision, dès lors qu’il renvoie à l’article L. 464-2 du code du commerce qui ne mentionne pas de telles décisions ».
Ces arguments n’ont pas convaincu la Cour d’appel de Paris qui a considéré que « les décisions, modifiant des engagements rendus obligatoires comme refusant de telles demandes, sont ainsi incluses dans le champ d’application de l’article L. 464-8 du code de commerce et ce, peu important le caractère négocié de la procédure, au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour l’entreprise en cause le refus de modification des engagements lorsque l’un des faits sur lesquels la décision d’engagements repose a subi un changement important ».
La Cour d’appel a ainsi jugé recevable le recours de TDF et ordonné la levée partielle des engagements après avoir annulé la décision de l’ADLC. A notre connaissance, c’est la première fois que la Cour d’appel de Paris fait droit à une demande de levée d’engagements initialement refusée par l’ADLC.
[1] Communiqué de procédure de l’Autorité de la concurrence du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence.
[2] Pour des exemples récents, voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n°22-D-13 du 21 juin 2022 relative à des pratiques mises en œuvre par Google dans le secteur de la presse ; 22-D-12 du 16 juin 2022 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur internet et 21-D-02 du 27 janvier 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des jeux de construction.
[3] Etude de l’Autorité de la concurrence sur les engagements comportementaux en droit de la concurrence de 2020.
[4] Décision de l’Autorité de la concurrence n° 20-S-01 du 23 octobre 2020.
[5] Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 01/07/2022, 448061.
[6] Cour d’appel de Paris, 21 avril 2022, n°20/169537.
[7] Décision de l’Autorité de la concurrence n° 23-D-14 du 20 décembre 2023.
[8] Cour de cassation, chambre commerciale, 31 janvier 2024, pourvoi n° 22-16.616.
[9] Voir l’arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale du 2 septembre 2020, pourvois n°18-18.501, 18-19.933, 18-18.582.
[10] Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 7, 30 novembre 2023, nº 23/01145.
[11] Décision de l’Autorité de la concurrence n°15-D-09 du 4 juin 2015