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Cass. 1re civ., 18 oct. 2023, n° 22-11.492, Publié au bulletin.
En l’espèce, une femme souffrant d’infertilité faisait valoir qu’elle avait été exposée in utero au diéthylstilbestrol ou Distilbène (ci-après désigné « DES »), à la suite de la prise de ce médicament par sa mère durant sa grossesse.
Le DES était prescrit aux femmes qui subissaient des avortements spontanés (ou fausse couche) à répétition.
L’expertise relèvera que la cause de son infertilité pouvait être due autant à son exposition au DES, qu’à son infection à Chlamydia et conclut que les préjudices subis étaient imputables de 40% à l’exposition au DES.
La victime directe de cette exposition, ainsi que sa mère et son époux, victimes indirectes, demandaient réparation des divers préjudices éprouvés au producteur de DES. Ils demandaient principalement la réparation du préjudice d’infertilité ainsi que celle du préjudice d’anxiété auquel est exposée la victime directe.
La Cour d’appel a débouté les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes d’indemnisation. Elle estime que la cause de l’infertilité de la victime peut être due autant à son infection à Chlamydia qu’à l’exposition au DES. Elle juge en conséquence que la responsabilité du producteur de DES ne pouvait être retenue, du fait de l’incertitude quant à la cause de l’infertilité de la victime.
Enfin, la Cour d’appel a rejeté la demande d’indemnisation du préjudice d’anxiété invoqué par la demanderesse suivant le même motif savoir l’absence de lien entre l’exposition au DES et son hypofertilité.
La haute juridiction a censuré le raisonnement de la Cour d’appel.
La Cour de cassation affirme qu’il résulte de l’article 1240 du Code civil qu’ouvre droit à réparation le dommage en lien causal avec une faute, même si celle-ci n’en est pas la seule cause.
En d’autres termes, à partir du moment où il est établi que l’exposition de la victime au DES a contribué à la réalisation de son dommage, les dispositions de l’article 1240 du Code civil sont applicables.
En conséquence, la victime n’a pas à rapporter la preuve selon laquelle sa pathologie a pour origine exclusive son exposition au DES. Elle doit seulement démontrer son exposition au produit litigieux ainsi que l’imputabilité du dommage à cette exposition.
Cette solution n’est pas nouvelle puisque la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question : « s’il n’est pas établi que le DES est la seule cause possible des pathologies présentées, la preuve d’une exposition in utero à cette molécule puis celle de l’imputabilité du dommage à cette exposition peuvent être apportées par tout moyen, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, sans qu’il puisse être exigé que les pathologies aient été exclusivement causées par cette exposition » (Civ. 1re, 19 juin 2019, n° 18-10.380).
En effet, le préjudice d’anxiété a été défini par la jurisprudence comme le fait pour une personne qui a été exposé à une substance toxique d’éprouver « un sentiment d’inquiétude permanente généré par le risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l’exposition » à une telle substance.
Ce type de préjudice ne requiert donc pas la démonstration d’un fait générateur en lien avec la réalisation effective d’un dommage. Il peut être caractérisé par la simple crainte des graves conséquences qui peuvent découler d’une exposition à un produit dangereux.
En l’espèce, l’exposition au DES étant établi, ce n’est pas surprenant que la Cour de cassation vienne constater l’existence d’un préjudice d’anxiété « résultat de l’exposition à un risque de dommage ».
La solution dégagée par la haute juridiction se classe dans la continuité de sa construction jurisprudentielle sur le contentieux relatif au Distilbène.
La Cour de cassation ne cesse de faire preuve d’une certaine souplesse à l’égard des victimes d’exposition au DES. L’admission de présomptions graves, précises et concordantes permettant de pallier la carence probatoire des victimes, susceptible d’empêcher leur indemnisation.
Ce raisonnement peut s’expliquer par la nécessité de ne pas priver une victime de son droit à réparation, faute pour elle de ne pouvoir rapporter la preuve d’une cause exclusive à son dommage.
L’arrêt de cassation permet donc de reconnaître la responsabilité d’un producteur de médicament alors même que plusieurs causes peuvent être à l’origine du préjudice de la victime.