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Anaëlle IDJERI
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Faciliter les révélations des turpitudes internes à l’entreprise ne constituent pas, de prime abord, une perspective réjouissante. Pourtant, si le cadre légal existant offre désormais une protection renforcée en obligeant, notamment, les entités du secteur privé de plus de 50 salariés à mettre en œuvre une procédure d’alerte interne, cette obligation fait apparaître des opportunités et se révèle être un excellent outil de maîtrise des risques.
la loi « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » du 21 mars 2022 dite « Loi Waserman*», définit le lanceur d’alerte comme une « personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».
Indépendamment du caractère éthique de l’alerte lancée, la dénonciation de certains faits reste exclue de la protection accordée au lanceur d’alerte. En particulier, les faits, les informations et les documents dont la révélation ou la divulgation est interdite par les dispositions relatives au secret de la défense nationale, au secret médical ou encore au secret professionnel de l’avocat sont exclus du périmètre.
Néanmoins, le régime protecteur du lanceur d’alerte peut trouver à s’appliquer, y compris à des personnes soumises à des secrets particuliers dans le cadre de leurs professions. Par exemple, au professionnel de santé qui dénonce des faits relatifs à un risque grave pour la santé ou l’environnement bénéficie du statut ; ou qui, informé de privation, mauvais traitements ou atteintes infligées à des personnes vulnérables ou mineures, les divulgue. Étant précisé que cette protection est doublée d’une obligation de révélation, dont le non-respect est sanctionné pénalement.
La divulgation publique, notamment par voie de presse, sans alerte externe préalable, rendue possible en l’absence de réaction des autorités dans un délai raisonnable, peut même être mise en œuvre immédiatement en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général.
L’impératif de confidentialité qui était jusque-là garanti à l’auteur de l’alerte est désormais étendu à son entourage (notamment aux facilitateurs, collègues, cercle familial mais également à certaines personnes morales), ainsi qu’à l’ensemble des tiers mentionnés dans le signalement.
En outre, le lanceur d’alerte bénéficie d’une protection contre les éventuelles représailles dont il pourrait faire l’objet, notamment contre un licenciement (l’employeur devant dans ce cas établir que la rupture du contrat est sans lien avec l’alerte).
L’innovation la plus significative contenue dans la Loi Waserman est l’irresponsabilité pénale et civile dont le lanceur d’alerte bénéficie jusqu’à ce que soit démontrée par l’entité ou la personne visée par l’alerte l’existence, notamment, d’une atteinte à la vie privée ou encore du caractère calomnieux ou mensonger de la dénonciation.
Outre cette protection, le lanceur d’alerte bénéficie de garanties procédurales comme la présomption qu’il a respecté les conditions de l’alerte ou encore l’allocation d’une provision destinée à couvrir ses frais avant toute décision judiciaire.
L’alerte interne ne doit pas s’envisager (seulement) comme une procédure contraignante et purement formaliste. Une approche pragmatique peut la transformer en véritable outil de transformation culturelle de la gestion des risques et de la place de la RSE. En effet, son efficacité est conditionnée non seulement à l’existence des garanties requises – par exemple en termes de confidentialité, d’absence de représailles ou encore de sécurité des données – mais également au déploiement d’efforts pédagogiques et à l’instauration d’un dialogue avec les membres de l’organisation concernée.
Plutôt que de subir une révélation tardive, lorsque le préjudice est devenu irréversible et que le risque juridique est devenu trop lourd, les entreprises ont un intérêt évident à pouvoir faire émerger précocement les préoccupations sanitaires, sociales, environnementales, concurrentielles ou de probité. Indépendamment même d’une fonction vertueuse, l’appréhension adaptée des risques à un stade mineur se trouve confrontée à la difficulté de leur détection.
Plus encore, en assurant une remontée d’informations, la procédure d’alerte interne est un outil précieux de nature à permettre à la structure de résoudre les difficultés existantes, voire de les anticiper. In fine, l’organisation se trouve en capacité de réduire non seulement son exposition à un risque de sanction, mais aussi au risque réputationnel qui lui échappe bien souvent. L’ensemble des professions réglementées est particulièrement exposé à certaines catégories de risque (fraude, blanchiment, etc., pour les professions du droit et du chiffre ; risque sanitaire pour les professions médicales).
Les entreprises ont donc un intérêt particulier à canaliser, organiser et normaliser le cadre des signalements, y compris lorsqu’elles ne sont pas dans le champ d’application des obligations, pour éviter d’être débordées par les conséquences de signalements externes. Pour autant, elles ne doivent certainement pas considérer qu’il puisse s’agir d’un moyen ou d’une finalité de faire obstacle à la progression de l’alerte. C’est au contraire pour pouvoir s’en saisir elles-mêmes, le cas échéant en réalisant les enquêtes internes nécessaires dans le cadre du respect des droits fondamentaux, du droit du travail, des règles déontologiques propres à chaque profession et des principes élémentaires applicables.
Elles doivent ensuite prendre les mesures nécessaires induites par des responsabilités éventuelles et par une remédiation (managériale, juridique ou technique) ; ce qui n’est pas sans poser différentes difficultés, en particulier pour lever efficacement les conflits d’intérêt internes. Les entreprises se trouvent en conséquence investies d’une responsabilité d’enquête et de décision sur les atteintes qui surviennent dans le cadre de leur activité, même lorsqu’elles ne sont pas directement coupables de manquements. Si cette responsabilité n’est pas leur vocation initiale, elle apparaît non seulement nécessaire à l’intérêt général, mais également utile à protéger l’entreprise contre des situations menaçant son patrimoine et sa réputation. Une façon de maîtriser leur destin, plutôt que de le subir.