Procédure administrative : le sort des délais, des procédures et du juge en période de covid-19

Publié le 27 mars 2020

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Droit public et Environnement

Le Président de la République a signé, le 25 mars 2020, 25 ordonnances en vue d’assurer l’adaptabilité du pays, et notamment de ses services publics, face à l’épidémie de COVID-19 et la proclamation de l’état d’urgence sanitaire qu’elle a impliqué.

Parmi ces textes publiés aujourd’hui, relevons, par ordre chronologique, l’ordonnance n° 2020-305 qui porte adaptation des règles applicables devant les juridictions administratives, qu’il s’agisse de l’organisation et du fonctionnement des juridictions, ou des délais de procédure et de jugement. Ces règles dérogent, du 12 mars 2020 jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire – soit le 24 mai 2020 à ce jour – aux règles législatives et réglementaires applicables aux juridictions administratives (article 2 de l’ordonnance).

Dans ce cadre encore, par une ordonnance n° 2020-306 publiée également au Journal Officiel de ce matin, le Gouvernement proroge divers délais et adapte les procédures à la situation sanitaire actuelle. Si les dispositions de cette ordonnance ne concernent pas uniquement la matière administrative, elles complètent néanmoins en ce domaine le dispositif mis en place par l’ordonnance susvisée n° 2020-305.

La « prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire » et l’adaptation des procédures en matière administrative : l’ordonnance n° 2020-306

Le Titre Ier de l’ordonnance n° 2020-306 pose les grands principes de ces prorogations 

  • En premier lieu, le Titre Ier exclut de son périmètre, pour la matière administrative, les délais concernant les procédures d'inscription à une voie d'accès de la fonction publique ou à une formation dans un établissement d'enseignement, et plus globalement les délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020.
  • En deuxième lieu, l'article 1er de cette ordonnance précise quels délais sont concernés par les dispositions de l'ordonnance : il s’agit de ceux qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré, et le cas échéant prorogé, sur le fondement des articles L. 3131-20 à L. 3131-22 du code de la santé publique. A ce jour, l’état d’urgence, bien que prorogeable, arrive à son terme le 24 mai 2020, de sorte que l’ordonnance vise les délais qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020. Ainsi, n'entrent pas dans le champ de cette mesure :
    • D’une part les délais dont le terme est échu avant le 12 mars 2020 ;
    • D’autre part, les délais dont le terme intervient au-delà du mois suivant la date de la cessation de l'état d'urgence sanitaire : ces délais ne sont alors ni suspendus, ni prorogés.
  • En troisième lieu, l'article 2 explicite le mécanisme de report de terme et d'échéance : les délais sont prorogés à compter de la fin de la période initiale, pour la durée qui était légalement impartie, mais dans la limite de deux mois (v. également l’article 3). 

Comme l’indique le rapport au Président de la République sur cette ordonnance,  « celle-ci ne prévoit pas de supprimer la réalisation de tout acte ou formalité dont le terme échoit dans la période visée ; elle permet simplement de considérer comme n'étant pas tardif l'acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti.

La précision selon laquelle sont concernés par les dispositions de cet article les actes « prescrits par la loi ou le règlement » exclut les actes prévus par des stipulations contractuelles. Le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat. (…) Les dispositions de droit commun restent applicables le cas échéant ».

De manière incidente, relevons qu’en matière contractuelle une ordonnance n° 2020-319 « portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 » a été publiée ce matin au Journal Officiel.

  • En quatrième lieu, l’article 4 détermine le sort des astreintes et des clauses contractuelles visant à sanctionner l'inexécution du débiteur quand l'article 5 prolonge de deux mois après la fin de la période définie au I de l'article 1er la possibilité de résilier ou dénoncer une convention lorsque sa résiliation ou l'opposition à son renouvellement devait avoir lieu dans une période ou un délai qui expire durant la période définie au I de l'article 1er.​​​​​​​

… Quand le Titre II de cette ordonnance n° 2020-306 adapte les délais spécifiques à l’action administrative et ceux qu’elle impose à des tiers.

Ce Titre II « s'applique aux administrations de l'Etat, aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics administratifs ainsi qu'aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale » (article 6).

Aux termes de cette ordonnance,

  • Sont suspendus les délais à l'issue desquels une décision, un accord ou un avis de l'un des organismes ou personnes mentionnés à l'article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020, jusqu’à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (article 7 de l’ordonnance n° 2020-306). Cet article précise que le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant cette période interviendra à l'achèvement de celle-ci. Les mêmes règles s'appliquent aux délais impartis aux mêmes organismes ou personnes pour vérifier le caractère complet d'un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l'instruction d'une demande ainsi qu'aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public.
  • Sont également suspendus les délais imposés par l'administration, conformément à la loi et au règlement, à toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature, sauf lorsqu’ils résultent d’une décision de justice.
  • Un décret pourra toutefois fixer des catégories d’actes ne relevant pas de ce dispositif pour des motifs de sécurité, santé publique etc. notamment.
  • L’article 10 est spécifique au domaine fiscal quand l’article 11 régit les délais applicables en matière de recouvrement et de contestation des créances publiques.
  • L’article 12 adapte les modalités d’organisation et de déroulement des enquêtes publiques.

L’organisation et le fonctionnement des juridictions, les délais de procédure contentieuse et de jugement, à l’aune de l’ordonnance n° 2020-305

La procédure contentieuse devant les juridictions administratives

  • Des magistrats ayant le grade de conseiller et une ancienneté minimale de deux ans peuvent dorénavant prononcer des ordonnances prévues à l’article R. 222-1 du code de justice administrative (donner acte des désistements, rejet de requête ne relevant pas de la compétence de la juridiction administrative etc.) (article 4).
  • Les pièces, actes et avis peuvent être communiqués par tout moyen (article 5).
  • Les clôtures d’instruction dont le terme vient à échéance du 12 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire sont prorogées de plein droit jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la fin de ladite période, à moins que ce terme ne soit reporté par le juge (article 16 de l’ordonnance n° 2020-305).
  • Les délais impartis au juge pour statuer sont reportés au premier jour du deuxième mois suivant la fin de l'état d'urgence sanitaire, sauf dérogations en matière de droit des étrangers et de droit électoral, précisées également par cet article 17 de l’ordonnance n° 2020-305. Ainsi, s’agissant des délais de jugement envisageables pour les contentieux électoraux d’ores et déjà engagés comme pour ceux à venir, il est actuellement prévu (article 17 de l’ordonnance) que le délai de jugement est fixé, au plus tard, au dernier jour du quatrième mois suivant le second tour des élections. Sur la question des élections v. également infra : prorogation des délais.
  • La minute des décisions peut être signée par le seul président de la formation de jugement (article 12).
  • La décision peut être notifiée à l'avocat de la partie qu'il représente (article 13).
  • Une décision de justice peut être rendue publique par mise à disposition au greffe de la juridiction (article 11).

Le déroulement de l’audience

 

  • Les magistrats peuvent statuer sans audience sur des requêtes présentées en référé (article 9) et sur les demandes de sursis à exécution (article 10).
  • Les magistrats peuvent tenir des audiences à huis clos ou en public restreint (article 6) ; ces audiences peuvent également être tenues en usant de moyen de communication audiovisuelle ou, en cas d'impossibilité, par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, dès lors que l’identité peut être vérifiée (article 7) ; les magistrats ont la possibilité de ne pas prononcer, lors de l'audience, les jugements relatifs aux mesures d'éloignement des étrangers placés en centre de rétention (article 14) ; il est possible de compléter les formations de jugement par l'adjonction de magistrats issus d'autres juridictions (article 3).
  • Dans toutes matières, le rapporteur public peut être dispensé d'exposer des conclusions lors de l'audience (article 8).

Les prorogations de délais (article 15 de l’ordonnance n° 2020-305)

Les dispositions prévues au titre Ier de l'ordonnance n° 2020-306 – développées supra –  trouvent à s'appliquer devant les juridictions de l'ordre administratif, sauf dérogations en matière de droit des étrangers et de droit électoral.

Sur ce dernier point, le II 3° de cet article 15 prévoit que le délai de recours contentieux contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales est prorogé. Ainsi, alors que celui-ci s’éteignait initialement, conformément aux dispositions de l’article R 119 du code électoral, à dix-huit heures le cinquième suivant l’élection, force est de constater que ce délai est aujourd’hui considérablement allongé :

« 3° Les réclamations et les recours mentionnées à l'article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 susvisée ou, par dérogation, aux dates prévues au deuxième ou troisième alinéa du même III du même article ».

Rappelons que l’article 19 III de la loi n°2020-290 prévoit que :

« III. - Les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l'analyse du comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal se tient de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction ».

Autrement dit, le délai de recours de saisine du juge électoral contre les résultats du premier tour est reporté sine die, soit cinq jours après l’entrée en fonction des conseillers élus, date qui sera connue « au plus tard au mois de juin 2020 ».

Certes, on pourrait s’étonner de l’incertitude contentieuse et juridique que constituent de telles modalités de report ; pour autant, il n’est pas illogique de considérer que les conditions de saisine du juge électoral ont pu être altérées du fait des bouleversements constants qui ont eu lieu à compter du 9 mars 2020, date du premier arrêté d’interdiction des rassemblements. Peut-être que l’interrogation réellement pertinente est celle qui renvoie au maintien des opérations électorales du 15 mars 2020.

Au final, toutes ces mesures, nombreuses et complexes en apparence, s’articulent en définitive autour de deux axes :

  • Neutraliser, sauf exceptions ou adaptations, la période covid-19 en la majorant d’un mois pour les délais ;
  • Faciliter l’activité des juridictions par certains moyens d’action – on pense à la communication audiovisuelle notamment – qu’il pourrait être intéressant de maintenir dans certains cas à l’issue de la période actuelle d’urgence sanitaire.

 

Par David Pilorge, avocat directeur, et Clément Launay, avocat.

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